L’hypnose, le retour de flamme chez les jeunes adultes

Effet rapide sur certains troubles et traumas, reconnexion du corps et de l’esprit, séance sans ordonnance ni chimie… l’hypnose a des arguments pour plaire aux jeunes adultes. À l’occasion d’une expo captivante à Nantes sur cette thérapie à bien encadrer, enquête et témoignages.

Le musée d’Arts de Nantes a inauguré il y a une semaine une étonnante exposition (1) consacrée à l’hypnose. En déambulant dans ce parcours inédit, il est facile de comprendre la fascination que cette pratique a provoquée chez certains artistes, de Gustave Courbet à Salvador Dalí. Il est même possible, grâce à une installation de Tony Oursler, de tenter une expérience immersive… Angoissant ? Amusant ? Pratique sectaire ? Si telle est votre réaction, il est peut-être temps de vous mettre à la page. Car loin de ressembler à un tour de magie ou à un gadget thérapeutique, l’hypnose est devenue en 2020 un outil très prisé parce qu’avant tout efficace.

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Depuis sa diffusion par le médecin allemand Franz-Anton Mesmer au XVIIIe siècle, l’hypnose est ainsi passée d’une fascinante pratique réservée à une élite (Guy de Maupassant la raconte par exemple dans Le Horla) à une méthode thérapeutique certifiée par l’hôpital. Depuis les avancées du psychiatre américain Milton Erickson dans les années 1930, les hypnothérapeutes, psychologues, médecins certifiés d’aujourd’hui travaillent en cabinet de ville, en salle d’accouchement (pour gérer la douleur), en bloc opératoire (pour remplacer ou accompagner l’anesthésie) ou en soins palliatifs… Mais l’on trouve aussi de l’autohypnose prête à l’emploi sur YouTube. Aujourd’hui plébiscitée par les millennials, une génération avide de compter sur ses propres ressources, l’hypnose connaît un regain d’attention et ne sert plus simplement à soigner mais aussi à rendre le quotidien plus vivable, et l’avenir moins angoissant.

Le musée d’Arts de Nantes a inauguré il y a une semaine une étonnante exposition (1) consacrée à l’hypnose. En déambulant dans ce parcours inédit, il est facile de comprendre la fascination que cette pratique a provoquée chez certains artistes, de Gustave Courbet à Salvador Dalí. Il est même possible, grâce à une installation de Tony Oursler, de tenter une expérience immersive… Angoissant ? Amusant ? Pratique sectaire ? Si telle est votre réaction, il est peut-être temps de vous mettre à la page. Car loin de ressembler à un tour de magie ou à un gadget thérapeutique, l’hypnose est devenue en 2020 un outil très prisé parce qu’avant tout efficace.

Une nouvelle approche

C’est un peu le hasard qui a mené Jean-Baptiste, 29 ans, à mettre de l’hypnose dans sa vie. Lâché par son petit ami à la veille du confinement, ce Parisien s’est retrouvé seul face à son angoisse. Son «estime de [soi] au plus bas», incapable de trouver le sommeil, il a cherché dans les dédales de la plateforme YouTube des vidéos de relaxation pour d’abord pouvoir dormir. C’est ainsi qu’il découvre les vidéos d’autohypnose de l’Américain Michael Sealey, 1,3 million d’abonnés au compteur. Il se souvient alors que plusieurs de ses amis avaient tenté l’approche, certains pour arrêter de fumer, d’autres pour surpasser leurs traumatismes. La méthode ne lui semblait donc pas farfelue. «J’ai vu que la vidéo était bien notée, ça m’a donné confiance», se souvient-il. Bercé par la voix douce de l’hypnothérapeute, qui prône le self-care sur tous les réseaux sociaux, le jeune homme s’est allongé, a écouté les consignes, a fixé un point au plafond, respiré profondément et s’est endormi. Un miracle ? Non, le début d’un travail au long cours, qui l’a mené jusqu’au cabinet d’une thérapeute pour détricoter des traumas bien plus anciens et lourds que son chagrin d’amour, et apprendre à mieux gérer ses émotions.

Comme beaucoup de jeunes pratiquants, Jean-Baptiste trouve dans l’hypnose une autre approche du soin que celle du médecin de famille et sa formule symptôme-diagnostic-médicament. Contrairement à leurs aînés, les millennials sont plus sensibilisés aux limites et aux failles de la médecine classique, notamment après plusieurs gros scandales sanitaires et en constatant la lente et parfois douloureuse reconnaissance de pathologies comme l’endométriose.

Quand son université new-yorkaise lui a naturellement proposé une séance d’hypnose pour contrer les douleurs liées au syndrome du côlon irritable, Clémentine, 36 ans, est demeurée très sceptique. «J’aurais préféré un médicament, se souvient-elle. Pourtant les résultats ont été au rendez-vous. J’ai parlé, je me suis lentement retrouvée dans un état second, et puis je suis revenue peu à peu dans le monde réel, cotonneuse mais allégée d’un poids. J’ai poursuivi avec des exercices de visualisation du type « Vous êtes sur une île déserte… », chez moi ou dans le métro. J’y ai trouvé de la détente.» Depuis, elle aborde ses démarches de soin de façon plurielle, holistique : «On peut prendre des médicaments, méditer et faire de l’hypnose, tout fonctionne ensemble», assure-t-elle.

Un travail intérieur

Une séance d’hypnose, c’est quoi au juste ? À écouter les professionnels, le travail se joue donc principalement à l’intérieur de soi, et c’est bien cela qui touche les millennials. «Ce n’est pas Lourdes, ici, il faut travailler», répète à ses patients le Dr Marc Galy, anesthésiste réanimateur et hypnopraticien à l’hôpital Saint-Louis, à Paris, référence dans sa pratique et auteur d’Être là (Éd. Flammarion). Il leur tend régulièrement une ordonnance pour travailler l’autohypnose chez eux. Sur la feuille de papier, pas de trace d’anxiolytiques pour les inquiets, pas de somnifères pour les insomniaques mais ces simples consignes, propres à chacun : «Regardez un tableau, écoutez de la musique, sentez le sol sous vos pieds…». «Le principe de l’hypnose, résume-t-il, c’est de partir de son passé ou de son présent pour avoir une incidence directe sur son futur. C’est dire : « Je suis tombé par le passé, je comprends ma peur, je peux avoir confiance et ne plus tomber ». »

Un procédé efficace

Quand il avait 13 ans, Mattéo a eu une crise de migraine si forte en plein match de foot avec son club que son corps a chancelé, s’est tétanisé. Cet épisode est resté imprimé dans toutes les membranes de son corps et la peur de la migraine s’est frayé un chemin dans le quotidien de Mattéo, 24 ans aujourd’hui, une peur plus forte que la douleur elle-même. Parce qu’il se définit comme «pragmatique», il a décidé d’explorer les outils à sa disposition pour se débarrasser de ce fardeau, et s’est retrouvé dans le cabinet d’une hypnothérapeute, sur le conseil de sa sœur. Dès la première séance, le garçon fait le récit de la migraine. «J’étais bien assis, les mains sur les accoudoirs et petit à petit j’ai senti mon cerveau s’assouplir, ma vision s’est troublée et mon corps a fait des gestes, comme pour évacuer les émotions liées au souvenir.» Après plusieurs séances, les migraines n’ont pas totalement disparu mais la peur, elle, est partie. «La migraine s’est désacralisée», explique Mattéo, qui depuis a décidé de consulter à nouveau son hypnothérapeute pour gérer des angoisses liées au confinement. «Notre génération est très instantanée, proactive et pragmatique, tout en restant ouverte, légère et fluide avec les outils thérapeutiques. Ce procédé de l’hypnose, il est clair, et il nous parle.»

Nicole Prieur, thérapeute auteure de L’hypnose pour tous, une autre voie pour alléger sa vie de famille et de couple (Éd. Payot) reçoit beaucoup de jeunes dans son cabinet. Elle avance deux explications : le résultat à court terme et la reconnexion du corps et de l’esprit. «L’hypnose permet d’accélérer certains changements et d’obtenir des soulagements assez rapides. C’est ce qui attire davantage les trentenaires. Pas besoin de s’appesantir. Et surtout, le travail ne passe pas par la compréhension intellectuelle mais directement par le corps, les sensations, l’imagination. Les jeunes adultes sont très sensibles à cette approche, d’autant que cette génération n’a pas peur d’essayer.»

Laura, chef d’entreprise de 31 ans, en est l’illustration. Cartésienne, elle a décidé de se tourner vers une nutritionniste puis une hypnothérapeute pour comprendre ses troubles alimentaires. «Une amie phobique de l’avion était parvenue à accepter de voler, je me suis dit… pourquoi pas, même si j’ai un profond respect pour la médecine traditionnelle. Au fil des séances, le dégoût pour certains aliments a disparu.» Laura ne parle pas de solution miracle : «Cette thérapie implique de faire confiance à l’autre, ce qui peut ne pas être évident, et de ne pas avoir peur de travailler sur soi en profondeur.»

Des besoins ciblés

S’ils ne délaissent pas la psychanalyse, aujourd’hui démystifiée, pour traiter les questions plus sourdes et souterraines, ou la méditation et le yoga pour se relaxer, les jeunes que nous avons interrogés utilisent l’hypnose ou l’autohypnose pour apprivoiser des douleurs ou des angoisses concrètes, souvent liées à la pression sociale.
Nicole Prieur poursuit : «Ils viennent me voir pour trouver confiance en eux, et surtout vis-à-vis de leurs parents. C’est l’âge de l’autonomie financière, un moment où la psyché est souple, la névrose ne prend pas trop de place. C’est aussi pour certains le moment de sonder leur approche de la vie de couple ou leur désir d’enfant.»

Un chemin suivi par Laura : «Pour m’aider dans mes problèmes alimentaires, l’hypnothérapeute utilisait beaucoup de métaphores, dont celle d’une femme qui n’arrive pas à avoir d’enfant. Ce qui m’a permis de réaliser combien je me projetais moi-même dans cette difficulté à procréer, notamment car je suis lesbienne, et les retentissements que cela pouvait avoir dans ma vie.»

Des dangers à éviter

Face à cet attrait des millennials pour l’hypnose, instituts et coachs proposent sur le Net séances et formules ciblant les jeunes. «Dépassez vos limites pour atteindre ce que vous rêveriez d’être, un célèbre businessman, un talentueux acteur, un grand photographe…», promet une formation destinée aux «jeunes adultes» bien en vue dans les recherches Google. Des objectifs marketing peu sérieux, prévient le docteur Marc Galy, qui rappelle que, sur le marché de l’hypnose, nombre d’escrocs avancent masqués. «Il faut dix minutes pour apprendre à hypnotiser quelqu’un, mais beaucoup d’expérience et de connaissances médicales pour traiter efficacement et en toute sécurité. L’hypnose n’est pas anodine et doit être pratiquée par des médecins dans un cadre individuel. »

Ce warning, le praticien Stéphane Rouet le partage : il se bat pour que l’hypnose soit mieux encadrée juridiquement et éviter les pseudo-professionnels pouvant parfois faire plus de mal que de bien : «Il est dangereux pour certaines personnes avec des maladies psychiatriques, comme les troubles psychotiques, d’être hypnotisées.» Aux millennials qui osent l’hypnose, il importe donc de garder un œil ouvert…

Article paru dans madameFIGARO le 24 octobre 2020, rédaction Anne-Laure Pineau